Thomas Sankara : Précurseur et icône africaine
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- 23 févr. 2020
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Quelques éléments biographiques
Né le 21 décembre 1949 à Yako (Nord de l’ex-Haute-Volta). Fils d’un Peul et d’une Mossi, le jeune Sankara est remarqué très tôt par les prêtres d’une mission catholique. Elève brillant, ils l’imaginent bien entrer au séminaire. Toutefois, c’est la médecine qui l’intéresse. Faute de bourse pour ses études, il s’oriente alors vers l’armée. Après son lycée au Prytanée Militaire de Kadiogo, il intègre l’école inter-armée de Yaoundé au Cameroun. Par la suite, il part à Madagascar à l’académie militaire d’Anstirabé. Il arrive en plein tournant malgache vers le socialisme. Il profite de ce séjour pour étayer sa palette de compétences.
S’intéressant à l’économie, au journalisme, il excelle également en sport et dans l’art oratoire. C’est à cette époque qu’il commence à s’intéresser à la politique, fasciné par l’expérience révolutionnaire qu’il vit.
Il entreprend par la suite différents stages dans les parachutistes en France et au Maroc. C’est durant cette période qu’il rencontre Blaise Compaoré, avec qui il fonde le Regroupement des Officiers Communistes (ROC) en 1976. Ce groupe d’officiers est très engagé à gauche, et farouchement anticolonialiste.
En janvier 1983, à la faveur d’un coup d’Etat, il est nommé premier ministre. Le pays connaît alors une période d’instabilité et de nombreuses tensions minent l’armée. Arrêté en mai, Thomas Sankara resurgit en août à la suite d’un nouveau coup d’Etat mené par son ami, le capitaine Blaise Compaoré.
Le 15 Octobre 1987, il est assassiné à Ouagadougou lors d’une réunion par un raid commando qui tue au passage sept de ses collaborateurs. De forts soupçons pèsent toujours sur l’actuel président, Blaise Compaoré, ancien bras droit de Sankara, comme étant le commanditaire du meurtre. Encore aujourd’hui, Sankara bénéficie d’une importante popularité au sein de la population africaine.
ll apporte une réelle fraicheur dans la politique africaine de l’époque : résolument anti-impérialiste et anticolonialiste, il dénonce ce qu’il appelle les « régimes clients » comme la Côte d’Ivoire et le Mali. Le Burkina Faso se range alors dans le mouvement des pays non-alignés. Ces orientations lui valent le surnom de « Che Guevara africain ».
Sankara le précurseur
Une des premières mesures symboliques prises par le nouveau président sera de changer le nom du pays : l’ancienne colonie française de la Haute Volta s’appellera désormais le Burkina Faso, qui signifie « Terre des hommes intègres ».
Bénéficiant déjà d’un important capital sympathie, il entame des réformes populaires en s’attaquant à ces sujets de prédilections (équité salariale, lutte contre la corruption).
Mais un élément méconnu de sa politique, selon moi mérite notre particulière attention : Son engagement politique envers l'émanciaption des femmes.
Sankara le féministe
En 1986, dans le dernier gouvernement de Thomas Sankara, cinq femmes sur vingt-cinq ministres (20 %) ont été nommées, soit la moyenne que l’on retrouve dans le monde aujourd’hui. Mais l’émancipation des femmes burkinabées ne se limite pas aux nominations dans les ministères, les préfectures ou au sein des Comités de défense de la révolution (CDR).
Thomas Sankara instaure, une fois par mois environ, une « journée des hommes au marché », dont l’objectif est de libérer les femmes de leurs tâches ménagères, mais aussi d’envoyer leurs maris faire les courses afin qu’ils connaissent le prix et la valeur des aliments. Il expliquait notamment dans un discours du 8 mars 1987 que "La révolution et la libération des femmes vont de pair. Et ce n’est pas un acte de charité ou un élan d’humanisme que de parler de l’émancipation des femmes. C’est une nécessité fondamentale pour le triomphe de la révolution. Les femmes portent sur elles l’autre moitié du ciel. »
Thomas Sankara met aussi fin à la dot et au lévirat, qu’il considère comme une marchandisation du corps féminin. Progressivement, il met aussi un terme aux mariages forcés en imposant un âge légal ainsi qu’à la prostitution qui est, selon lui, « la quintessence d’une société où l’exploitation est érigée en règle et le symbole du mépris que l’homme a de la femme. » Le président institue enfin le salaire vital, un prélèvement automatique (environ 0,5 %) sur le salaire des fonctionnaires pour rétribuer le travail quotidien de leur épouse et faire en sorte qu’elle puisse subvenir aux besoins de la famille. Cette dernière mesure sera toutefois très peu appliquée tant elle va rencontrer d’opposition.
De plus, Thomas Sankara, lance des campagnes d’alphabétisation réservées aux femmes, s’érige aussi contre les mutilations génitales féminines (interdiction de l’excision) et la polygamie qu’il réglemente.
La femme burkinabè était au coeur de la construction du pays. Il estimait que "La vraie émancipation, c’est celle qui responsabilise la femme, qui l’associe aux activités productives, aux différents combats auxquels est confronté le peuple. La vraie émancipation de la femme, c’est celle qui force le respect et la considération de l’homme."
La mort de Sankara : un rêve brisé
Cette expression de rêve brisé provient du journaliste tunisien Béchir Ben Yahmed. En effet, Sankara incarnait l’espoir du nouveau type de dirigeant africain qui allait changer le cours de l’histoire et mener l’Afrique vers les sommets.
Malheureusement, il inquiète, dérange et se sait menacé. En 1987, il déclare :
« Je me sens comme un cycliste qui est sur une crête et ne peut s’arrêter de pédaler sinon il tombe. »
Ainsi, le 15 octobre 1987, après quatre années au pouvoir et alors que « l’homme intègre », comme il est appelé, se rend à un conseil des ministres extraordinaire, il est assassiné avec douze de ses compagnons lors d’un putsch qui laisse Blaise Compaoré seul au pouvoir. Les corps sont enterrés en catimini le soir même au cimetière de Dagnoën, dans l’est de Ouagadougou.
La déclassification des archives concernant sa mort
En promettant que tous les documents français concernant l’assassinat de l’ancien président seraient « déclassifiés », Emmanuel Macron entend mettre un terme à des décennies d’opacité entretenues par ses prédécesseurs et souhaite instaurer un rapport d’égal à égal avec le continent, basé sur la confiance.
En 2015, François Hollande avait engagé une déclassification des archives françaises sur le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994. Mais celle-ci ne fut que partielle et finalement décevante. Espérons que déclassification des documents concernant l'assassinat de Sankara, ne sois pas comme ce fut le cas en 2015 décevante.
Conclusion
Au vu de la situation actuelle du Burkina Faso et de toute la zone sahélienne, le nom de Thomas Sankara a une forte résonance.
Ainsi, espérons qu'aujourd'hui le mythe Sankara ne soit pas qu'une inspiration vaine. Mais plus que jamais un espoir pour la jeunesse panafricaine et une incitation à s'approprier son combat afin d'imposer une nouvelle politique de la "beauté" (Jean pierre Siméon), plus intègre.
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