Controverse politique sur l’« islamo-gauchisme » : fantasme ou réalité ?
- Archium
- 30 mars 2021
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Le 14 février 2021, la ministre de l’Enseignement supérieur se retrouve dans la tourmente après avoir expliqué que « l’islamo-gauchisme gangrène la société dans son ensemble et l’université n’est pas imperméable », tout en demandant au CNRS « un bilan de l’ensemble des recherches » qui se déroulent en France. Cette interview a conduit ses anciens collègues présidents d’université à s’insurger en brandissant la liberté de recherche.
L’intervention du président de la Sorbonne est alors un bon exemple, celui-ci expliquant que « l’islamo-gauchisme est un terme absolument peu précis, issu des milieux de la droite extrême, repris par certains députés LR qui voudraient interdire l’enseignement de certaines disciplines à l’université ». Il ajoute aussi : « On se croirait dans l’ancienne Union soviétique. Ça me fait davantage penser aux slogans du 20e siècle dénonçant le judéo bolchévisme ».
D’autres encore accusent le gouvernement de draguer l’électorat d’extrême droite en vue des élections qui approchent.

Une du journal Libération / 18 février
Mais alors, qu'est-ce que l’islamo-gauchisme ?
Cette notion est née à l’origine au sein de l’extrêmement gauche britannique, notamment dans l’ouvrage « Le Prophète et le prolétariat » de 1999 du militant trotskiste C. Harman. Importé en France par le philosophe Pierre-André Taguieff en 2002 dans son ouvrage « La Nouvelle Judéophobie », l’islamo-gauchisme évoque une alliance objective entre certains militants d’extrême gauche et des islamistes pour combattre le capitalisme et le néocolonialisme occidental. Pour autant, ce terme a ensuite été utilisé et popularisé par l’extrême droite française.
Mais ce qui est difficile à comprendre, c’est pourquoi cette analyse de madame Vidal conduit à des réactions aussi violentes et surtout hystérise le débat national ?
Premièrement, outre le fait que c’est une idéologie qui n’a aucune réalité scientifique (comme l’a affirmé le CNRS), le débat fut lancé par madame Vidal de la pire des manières et dans le pire des moments. En effet, la ministre a abordé le sujet en positionnant le gouvernement dans une posture qui n’est normalement pas la leur; intervenir dans la liberté académique des universitaires, et encore pire dans la recherche universitaire. Cette sortie a été perçue comme une atteinte importante à la liberté de recherche de nos enseignants-chercheurs, d’où l’hystérie engendrée et les appels à démission répétitifs des universitaires envers leur ministre.
Toutefois, pour certains intellectuels français comme M. Jean Quatremer, il est dommage que le débat ait été lancé de cette manière, car il tue la réflexion concernant ce sujet, qui lui est bien réel. Il estime notamment que « l’extrême gauche a comme nouveau prolétariat les islamistes ». C’est bien cette idée « d’alliance » entre la gauche et les musulmans que dénonce l’extrême droite et plusieurs intellectuels français. Cette dénonciation a pris un fort regain à la suite de l’assassinat et la décapitation de Samuel Paty. Depuis ce drame, on dénonce de manière répétitive que la gauche est responsable du terrorisme par complaisance. Concrètement, on l’accuse de ne pas vouloir critiquer les musulmans qui feraient partie de leur électorat.
Confirmant le paragraphe au-dessus, le philosophe Raphaël Enthoven évoque cette notion comme une simple alliance entre « les bons sentiments [la gauche] et la haine [l’idéologie islamiste] ». Ce bon sentiment repose selon lui, sur le fait que le relativisme est le bras armé du dogmatisme. Ainsi, l’intellectuel accuse la gauche de tellement relativiser qu’elle laisserait finalement passer l’idéologie la plus dogmatique qui soit : « l’islamisme ».
Néanmoins, il est important de souligner que ce terme est souvent utilisé pour taxer les personnes qui défendent la Palestine ou encore celles qui soutiennent les minorités, sans pour autant plaider pour la complaisance du terrorisme. C’est pourquoi l’intellectuel français Pascal Boniface parle de l’ambigüité de ce terme, en expliquant notamment qu’on vient opérer des confusions à travers celui-ci qui peuvent être nuisibles.
Comme l’explique M. Pascal Blanchard, le problème réside dans le fait que la ministre ait parlé des Universités. Elle a effectivement expliqué que l’Université était gangrénée par les questions postcoloniales, de genre et de travail sur la race. Ainsi la ministre ne s’est pas limitée à la notion d’islamo-gauchiste, mais a défini concrètement qui elle souhaitait viser, c’est-à-dire les personnes effectuant des recherches sur les questions évoquées précédemment (d’où le problème). Pour M. Blanchard, cela peut faire écho à la commission McCarthy où l’on définissait si des fonctionnaires n’étaient pas trop loins ou proches du communisme.
En réalité, la vraie problématique de ce débat réside dans le fait que la notion est beaucoup trop floue. De plus, elle est utilisée ‘’à toutes les sauces’’, ce qui conduit à des approximations et surtout à des incompréhensions qui à terme, peuvent fortement porter atteinte à la société française.
Pour être plus précis, certains utilisent cette notion afin de parler de la soit-disant drague électorale de l’extrême gauche envers des islamistes. D’autres, à l’instar de la ministre, relient cette notion aux débats postcoloniaux, de genre et de race. Puis d’autres encore comme l’essayiste Julie Graziani regroupent cette notion à la gauche identitaire.
Vous comprenez aisément les mélanges et confusions qui sont fait autour de ce sujet.
Le débat est sain, mais la posture idéologique des nombreux sophistes (d’extrême droite ou d’extrême gauche) à ce sujet est clivante et dangereuse, et peut conduire à hystériser le débat jusqu’à un point de non-retour. L’atmosphère politique actuelle est nauséabonde et ce terme étiquetant et labélisant l’illustre pleinement. Il donne alors l’impression que l’émotion est en train de prendre le pas sur la raison, sur le débat argumenté, sur l’échange d’idées, conduisant à se demander si notre société ne préfère pas la polémique à la discussion.
Opportunisme politique ou réel débat, je vous en laisse juger.

Médiapart - Fred Sochard
M.Y
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