La place du centrisme au sein de la politique française
- Archium
- 15 févr. 2021
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On dit souvent du président de la République Emmanuel Macron qu’il marche sur deux pieds. Un pied à droite, un pied à gauche. Virtuose du « en même-temps », Emmanuel Macron a su jongler dans un milieu politique français bipolarisé en imposant une vision renouvelée du centrisme, tout en faisant écho au giscardisme. On pense alors à la célèbre formule de l’ex-président Valéry Giscard d’Estaing : « La France veut et doit être dirigée au centre ». Désormais, le centrisme apparait donc à nouveau au cœur de notre vie politique, propulsé au-devant de la scène par le gouvernement actuel. Mais cette « ligne du juste milieu » existe-t-elle vraiment au sein de l’échiquier politique français ?
De premier abord, le centrisme est souvent perçu comme une non-opinion. Cela conduit souvent à penser que le centriste est assimilable à une girouette qui ne sait point prendre position. Seulement, cette vision est erronée et résulte souvent d’un préjugé comme l’affirme l’homme politique togolais Gerry Taama « le centrisme n’est pas un refus d’opinion, mais une [réelle] idéologie politique ». En effet, le centrisme évoque une idée d’équilibre et de modération qui ne correspond pas du tout à l’idée que l’on s’en fait. Ce courant politique ne consiste pas à prendre une idée à droite et une idée à gauche pour en faire une tambouille. C’est en réalité une idéologie politique plus complexe qui prône une vision plus équilibrée de la société ; vision que l’on ne retrouve ni à gauche et ni à droite, d’où la spécificité du centrisme.
En outre, on a pu assister avec l’élection d’Emmanuel Macron à une sorte de renaissance du centrisme. Pourtant, ce qui est particulier avec notre président actuel est qu’il n’est pas issu d’une famille politique centriste, bien au contraire. Issu de la gauche française il a su rassembler et absorber tous les partis centristes en sein de la bannière « En marche ». À titre d’exemple, François Bayrou président de l’UDR (parti centriste) a soutenu très rapidement la candidature d’Emmanuel Macron, de même que le parti de centre droit de Jean François Lagarde (UDI) plutôt proche des républicains. Cependant cette réunion des centres est-elle vouée à durer ? Et surtout a-t-elle vraiment sa place au sein de l’échiquier politique français ?

Le centrisme : une idéologie récente mais qui a toujours existé
Le centrisme est une idéologie récente qui n’a concrètement été évoquée que durant deux mandats sous la Vème république : celui de VGE et celui d’Emmanuel Macron. Cependant, il a toujours existé. À titre d’exemple, durant la Révolution française il y avait 2 grandes idéologies et une petite. Les deux grandes correspondent à la gauche et la droite et la petite au centrisme. La gauche à cette époque souhaitait faire la révolution. La droite soutenait plutôt le roi. Le centre quant à lui, loin d’être majoritaire, ne souhaitait ni la révolution ni le roi mais cherchait plutôt à trouver un équilibre. En d’autres termes c’est la politique du compromis.
Le centrisme est-il réellement dans l’échiquier politique ?
Giscard disait en mars 1980 : « J’entends me tenir à la ligne du juste milieu. Celle de la synthèse des propositions, de la rencontre des hommes, de la mobilisation des forces pour aider la France, et non pour déchirer la France. Ce n’est pas une ligne neutre. C’est une ligne de paix et d’entente ». Cependant, cette palissade n’illustre pas réellement ce que fut concrètement le mandat de VGE. En effet, il a dû gouverner sans avoir une réelle majorité giscardienne. Sa majorité était de droite, ce qui l’a conduit inévitablement à suivre une politique de droite. Ainsi l’ambition centriste de Giscard s’est avérée une illusion. De ce fait, le centrisme comme sensibilité politique ne fonctionne pas très bien, car le système politique institutionnel que nous disposons est inévitablement binaire. On comprend de ce fait qu’il est très difficile pour un centriste d’accéder au pouvoir dans un pays comme le nôtre. Cependant, si l’on voit le centrisme comme une volonté pragmatique on pourrait finalement dire que tous les présidents font du centrisme. Effectivement, dans ce cadre-là, le centrisme consisterait à tenir compte des réalités tout en renonçant à des idées radicales pour des idées modérées plus applicables. Le centrisme serait une sorte de normalisation liée à l’exercice du pouvoir. En ce sens, comme l’a exprimé Dominique Reynié « Pour prendre le pouvoir, le centrisme ça ne marche pas très bien, mais pour l’exercer c’est presque la voie unique »
VGE — Macron, des ressemblances ?
Les circonstances historiques entre ces deux présidents sont évidemment différentes. Cependant, la comparaison n’est pas pour autant fortuite. La première similitude serait l’optimisme, ce même optimisme qui les a conduits à gagner une élection présidentielle dont ils n’avaient aucune chance au départ. L’autre point commun serait le goût pour la culture technocratique et le très fort attachement à l’Europe. Enfin comme VGE, Macron se rapproche plus d’une politique de droite que de gauche. En effet, celui-ci se sent obligé de faire une politique de plus en plus libérale pour des raisons stratégiques évidentes : la gauche est trop dispersée pour être une menace, et le risque majeur réside à droite. De ce fait, le centrisme ne surpasse jamais vraiment les clivages qu’il est censé surmonter. Le risque est de cumuler les insatisfactions de gauche et de droite.
Ainsi, on peut se demander si finalement la posture centriste n’est-elle pas condamnée à mener une politique de droite ?
La réalité est plus complexe. Au fond l’objectif affiché du centrisme est bien le consensus politique. De ce fait, tous les présidents de la République dans l’exercice du pouvoir usent de cet art du consensus. On pourrait dire finalement dire qu’il y a un centrisme qui penche parfois à droite et un centrisme qui penche parfois à gauche.
Mais pour aller plus loin, je mettrai en exergue la pensée de Jean-François Kahn qui lors d’un entretien expliquait que «La vérité n’est jamais au centre ». Il détestait cette idée de juste milieu pour deux raisons. La première est que la pensée d’un juste milieu signifie que la pensée de droite et de gauche n’évolue jamais. La seconde est que la meilleure solution ne se trouve pas toujours dans le consensus, mais bien au contraire dans le choix. Il utilisait deux exemples historiques. Le premier est que le juste ne se trouve pas entre la pensée nazie et celle des résistants (on doit choisir les résistants). La seconde est que le juste ne se trouve pas entre le stalinisme et les antistaliniens, mais bien chez les antistaliniens (même s’ils sont de droite).

M.Y
© Images : Le Point / THE WASHINGTON POST — WASHINGTON - Le centrisme français du point de vue américain.
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